Étang de Berre: on a évité le pire mais...
Si, malgré la canicule et l'alerte de juin, une nouvelle rechute d'un manque d'oxygène dans l'eau a été évité, les impacts de la crise de l'été 2018 sur l'écosystème vont se maintenir encore longtemps
0n a plus que tremblé, hanté par cette image d'un (nouvel) été meurtrier.
Souviens-toi l'été dernier, cet étang noir, asphyxié, presque sans vie, au trente-sixième dessous, dans les bas-fonds d'une crise écologique sans précédent. Ces vieux démons qui rôdaient à nouveau méchamment au solstice de l'été. Un retour d'une catastrophe, promise dès le mois de juin... Contrecoup de la canicule qui sévissait, ce mercure dépassant les 40°C.
Sur l'étang de Bolmon, séparé de celui de Berre par le cordon dunaire du Jaï, le 30 juin, c'était déjà un cimetière de poissons, morts d'asphyxie. Des centaines, sur le flanc, avec ce même phénomène d'anoxie (manque d'oxygène) qui pointait à nouveau. Sur les bords de l'étang de Berre, candidat au patrimoine de l'Unesco, on retenait notre souffle dans la foulée de cette parenthèse désenchantée sur la plage du Jaï, jonchée d'ulves, ces algues vertes qui produisent un gaz toxique en se décomposant. Et qui a fait tant de bruit, avec des soupçons autour de la mort d'un chien, Tyson, ayant juste le tort de s'amuser sur les rives la veille, malgré un accès interdit à la plage.
L'épée de Damoclès pointait... Un scénario (in) digne de la fin de l'été qui s'annonçait carrément aux prémisses de juillet ! On était tout proche de toucher le fond... Et puis, comme un miracle ou presque, on a évité la catastrophe. L'étang est comme passé entre les gouttes ou les courants. Un mistral soufflant par-ci par-là en juillet, comme un allié qui a permis un brassage suffisant des eaux.
Mais pas seulement. "On avance les fortes températures et l'absence de vent l'an dernier pour expliquer la crise. Si le vent a permis d'éviter le pire aujourd'hui, l'autre facteur décisif vient des rejets de la centrale EDF qui ont été quasiment nul depuis mars", précise Raphaël Grise!, directeur du Gipreb, le syndicat mixte qui veille sur la santé de l'étang. Une aubaine dans un contexte climatique très sec qui a fait "le jeu de l'étang", qui n'a pas nécessité de turbinage pour réguler le volume du lac de Serre-Ponçon notamment.
Les liaisons dangereuses
Ces apports brutaux d'eau douce et de limons de la centrale hydroélectrique de Saint-Chamas, dans le plus grand étang salé d'Europe, qui provoquent depuis des années l'ire des associations de défense de l'étang.
Ces rejets ("dans les quotas de l'État", se défend toujours l'électricien) - qui font en quelque sorte la pluie et le beau temps dans l'étang. "Ça rentre énormément en jeu dans son fonctionnement, répète le Gipreb. Les apports d'eau douce entraînent une stratification des couches d'eau. Pour résumer, cela entraîne une densité différente. Comme l'eau et l'huile, ça ne se mélange plus. L'eau douce pose une sorte de barrière au transfert d'oxygène à l'eau plus salée".
Des liaisons dangereuses, fatales, qui auront transformé les eaux en bouillie l'été dernier avec la conjonction de facteurs (déversements d'eau douce et de limons, canicule, absence de vent) pour donner le triste spectacle des eaux noires, la disparition des palourdes, poissons morts par centaines... Et des drapeaux rouges élevés en urgence avec un record d'interdictions de baignade "pas tant pour la qualité sanitaire qui restait plutôt bonne - c'est du plancton, mais parce que l'on avait ce phénomène d'eaux noires et ce spectacle désolant de poisson morts", rappelle le Gipreb.
"Cette fois, on a des eaux claires comme rarement, Une masse d'eau sans trop d'azote, des phytoplanctons dans une mesure normale. On a eu un ou deux cas de dégradation, mais on a des résultats plutôt bons". Ces prélèvements de l'ARS (Agence régionale de santé) toutes les deux semaines, entrecoupés par les scientifiques du Gipreb, comme des blancs-seings.
Les derniers résultats du prélèvement du 13 août en sont la preuve avec 14 spots sur 15, de Martigues à Marignane en passant par Istres et Vitrolles, avec une interprétation "bonne".
Comme un apaisement, un an après, même si tout est loin d'être rose. Paroles d'experts. "La crise est loin d'être finie. Les effets de l'été dernier sont loin d'être réparés. Il n'y a qu'à regarder l'état de la faune benthique (l'ensemble des organismes aquatiques). Tout ce qui était un espoir de recolonisation de l'étang en hiver 2017, les palourdes, les oursins, la grande nacre, l'orphie, ça a été décimé. Il n'y a plus rien!"
Avec un autre effet "Kisscool", pardon pas cool. "Au départ, avec les images satellites, on estimait à une perte de 50% des herbiers de zostères. Les prospections en plongée révèlent que c'est plus critique qu'imaginé. Il faut toujours un temps de réaction. On ne savait pas comment cela allait réagir. Avec les eaux acides, beaucoup de zostères ont brûlé. C'est comme un arbre avec des racines. On sait maintenant que l'on est bien inférieur à 50% de ce que l'on avait en 2018".
Comme une blessure lancinante pour une conclusion douloureuse. "La crise de l'été 2018 est loin d'être finie et les effets loin d'être réparés..." Le moindre mal de l'été, ces eaux correctes ces temps-ci sonnent comme une maigre consolation. Au fond de l'étang, il y manque juste les vivants, ces petites perles - on avait même observé quelques hippocampes ! - et ce potentiel tout nouveau de 2017 presque mort-nés, hélas...
Pascal STELLA Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Les dossiers
La vie de l'étang de Berre n'est jamais un long fleuve tranquille.
Même si c'est pour la bonne cause, comme ce "combat" avec l'association "Étang de Berre, patrimoine universel ", présidée par Jean-Claude Cheinet en chef de file, qui s'est lancé dans un long marathon en déposant la candidature au classement de l'étang au patrimoine mondial de l'Unesco.
Moins glamour, il y a aussi cette plainte du Gipreb contre l'État auprès de la Commission européenne, déposée au tout début de l'été avec les 10 villes riveraines de l'étang, pour dénoncer "l'inaction".
"La dégradation de l'étang et le non-respect de la législation européenne" dans les mains de Maître Corinne Lepage, qui a porté la colère auprès du tribunal administratif de Marseille "pour insuffisance des mesures prises par les autorités locales et nationales pour atteindre le bon état écologique des eaux".
Une action en justice qui "présente un caractère utile"a tranché d'ores et déjà la juge des référés qui a ordonné "un constat de contradiction en nommant un expert qui a quatre mois pour rendre sa copie au tribunal", précise Raphaël Grisel au Gipreb. ça nous renvoie à la mi-octobre donc. Enfin, il reste à voir la suite que vont prendre le Gipreb et les élus du pourtour de l'étang à la rentrée après le coup de semonce du 12 juillet autour des solutions pour la réhabilitation de l'étang.
Depuis cette date, on sait que le fameux groupe d'experts mandaté par le ministère de la Transition écologique (qui a encore changé de tête soit dit en passant après l'affaire François de Rugy...) s'est positionné contre la réouverture du tunnel du Rove, qui permettait de relier la rade phocéenne à l'étang...
Une réouverture de la courantologie défendue par plusieurs élus et une solution qui a valu une tribune pour un "sauvetage de l'étang de Berre" signée par Pierre Dharréville (PCF), Jean-Marc Zulesi (LREM) et Éric Diard (LR).
P.S.