Guerre froide pour un repas chaud

MARIGNANE Marie et Sam ont ouvert leur restaurant face aux officiers de la Police nationale  

Quinze agents de la police nationale, une restauratrice déguisée pour le carnaval de Venise et quelques clients heureux de manger dans la rue. Ce qui ressemble au début d'une blague n'en est pas une. Hier midi, comme ils l'avaient annoncé, Marie et Sam ont ouvert les portes de leur restaurant marignanais. Un acte de "désobéissance civile" lancé en janvier par Stéphane Turillon, restaurateur dans le Doubs. Tout comme lui, le couple, d'abord décidé à servir un repas sur table, a fait machine arrière. Pour eux, la facture s'annonçait salée: 15 000€ d'amende, remboursement du chômage partiel, fermeture administrative... "Entre le risque de verbalisation, les désistements et les annonces du gouvernement, beaucoup ont annulé leur ouverture, résume Marie. La veille, nous avons trouvé un plan B pour tout de même marquer le coup!"

Résultat, c'est un curieux plat "de résistance" qui était servi hier midi. Un délicieux tournedos façon Rossini servi "dans de vraies assiettes, avec de vrais couverts, comme au restaurant". En revanche, pas droit aux chaises ni aux tables: pour éviter toute fermeture pendant le service, les clients ont mangé sur le mobilier urbain en face du restaurant. Pas de quoi freiner l'appétit de Thierry, l'un des premiers servis : "C'est un acte de soutien pour tous les restaurateurs. Personne ne comprend pourquoi ils n'ont pas droit d'ouvrir. Il faut les aider." Parmi les clients présents, de nombreux commerçants voisins venus soutenir "une cause commune". Aurélie tient la boutique de bijoux attenante: "Je suis là en tant que Marignanaise mais aussi en tant que commerçante. C'est un geste symbolique qu'ils font là. Ils ne le font pas que pour eux! Le repas a beau être offert, il n'est pas question que je parte d'ici sans payer." Florent, marchand de journaux, a lui aussi fait l'amère expérience des "fermetures Covid". Son commerce n'a pas survécu au premier confinement. "Je passe au tribunal jeudi pour la liquidation judiciaire. Cette ouverture est un beau message pour les commerçants locaux en difficulté." Du côté des restaurateurs alentour, l'initiative est saluée à défaut d'être suivie. "J'ai hésité à participer, avoue Alexandra, gérante des Cinq Délices. Après réflexion, je me suis rendu compte que j'avais plus à perdre qu'à gagner. Mais j'ai autant de colère d'eux. On en a tous ras-le-bol. La situation commence à devenir très pesante."

"L'impression d'être des criminels"

Le service terminé et les forces de l'ordre disparues, Marie et Sam peuvent enfin faire redescendre la pression. "Quand on voit un tel dispositif juste pour un restaurant, on a quand même l'impression d'être des criminels", déplore la jeune femme. Cachée derrière une tenue digne du carnaval vénitien, elle est très fière du combat du jour mené avec son conjoint. "Ce costume, c'est pour dire que cette action parle aussi du monde du théâtre, du cinéma... Heureusement que je l'avais, il me donnait l'impression de jouer une scène devant un public de CRS !"Le bilan de la journée semble positif: clients et restaurateurs ont partagé un moment convivial et symbolique sans écoper d'une seule amende. Marie et Sam seront tout de même convoqués au commissariat de Vitrolles. "S'ils ont quelque chose à nous reprocher, ça nous permettra d'être meilleurs la prochaine fois", sourit le couple.

Raphaël KHAYAT