Le pilote qui veut lutter contre les préjugés

Michel Mouton, commandant de bord depuis 25 ans, sort son 3e essai 

A l'origine, ce ne devait être qu'un prolongement de ses deux précédents ouvrages. Mais la venue à Marignane dans le point Relay du hall 4 de l'aéroport où il dédicacera son dernier essai (1), du pilote-essayiste Michel Mouton prendra sans doute une tout autre dimension au regard de tous les événements dramatiques qui ont, depuis deux ans, endeuillé l'espace aérien international. Le missile russe qui a abattu l'avion de la Malaysia Airlines, le suicide du pilote de la Germanwings, plus récemment l'explosion terroriste à bord d'un avion russe, ont forcément marqué les esprits. Mais ils n'ont pas pour autant, entrainé de paranoïa au sein des équipages des compagnies aériennes, comme celui que dirige au quotidien ce commandant de bord affecté à la liaison Marignane-Strasbourg. "Je suiscommandant de bord depuis 25 ans et la sécurité n'a jamais cessé d'augmenter, explique ce pilote chevronné. A ceci, il y a deux raisons: les avions sont beaucoup plus performants et les normes sont beaucoup plus précises et contraignantes. Tout ceci fait que si l'on enlève les actes terroristes ou militaires, il ne reste pas grand-chose en terme de risques". Selon lui, la théorie des "causes humaines' intervenant dans les crashes d'avions "ne progresse plus". "Ce sujet n'intéresse pas vraiment parce que l'on nous parle de cas extrêmes de laboratoires. Or, chaque accident est la découverte de ce qui n'était pas prévu".

Michel Mouton entend, au travers de ses ouvrages, faire découvrir son métier, un métier de passionné, et "expliquer ce qu'est la sécurité en vol, de façon différente". "À chaque accident on a trop tendance, encore aujourd'hui, à généraliser et prendre des concepts sur des étagères sans savoir si l'on peut les adopter ou si l'on doit les abandonner pour des concepts plus pertinents en excluant les sciences humaines pour lesquelles je me passionne depuis dix ans". Exemple : "on n'hésite pas à transposer à la France, des accidents qui surviennent à l'étranger ou avec des pilotes étrangers. L'exemple de la Germanwings est à ce titre intéressant. On a un type qui se donne la mort, entraînant derrière lui 149 personnes. Mais se pose-t-on la question de savoir si ce ne sont pas les 149 passagers, donc, le système, qui ont conduit ce type à se suicider? Cet homme était dépressif certes. Mais il savait qu'il allait perdre son travail. Il a un profil de passionné qui a des problêmes avec des médecins et qui va être viré comme un sauvage. C'est le système des low-costs qui veut ça. Les low cost sont violents et leurs modèles n'ont rien à voir avec ceux de compagnies comme Air France, British airways ou Lufthansa. Ce que je veux dire c'est, ce suicide n'a-t-il pas été provoqué? Tous les cliniciens vous diront qu'on ne se suicide pas comme ça." Et Michel Mouton va plus loin. "Dans l'est de l'Europe, certains co-pilotes doivent payer leur compagnie pour voler. Une formation de pilote, ça coûte 200 000 €, quel que soit son niveau de vie. Fatalement, la dette est la même pour tout le monde surtout dans le contexte économique qui est difficile actuellement. Quand vous avez des compagnies peu scrupuleuses, quand vous avez des gens qui sont acculés, qui ne peuvent pas payer, on peut se trouver face à des situations dramatiques". Pour lui, les contrôles des autorités civiles sont limités. "Si les compétences techniques des avions sont remplies, ils peuvent voler. Les conditions sociales ne les regardent pas. Personnellement, je pense que la concurrence nous attire vers le bas."

S'il parle de ces sujets sans faux-semblant, Michel Mouton souhaite aussi évoquer la question de l'autorité à bord. "On dit souvent que le commandant de bord décide de tout. Mais c'est faux, lance-t-il. Il est là, au contraire, pour vérifier que tout se passe bien, comme prévu et refuser que quelque chose se passe mal. A l'intérieur de cet équipage, le co-pilote par exemple n'est pas là pour remplir un siège. Il est essentiel pour la sécurité contrairement à la vision stéréo-typée qu'on veut nous en donner". Le pilote évoque ainsi la sécurité en vol au sein de son avion qu'il a transformé en laboratoire d'études depuis dix ans.

Stéphane ROSSI

(1) Le commandant de bord: l'Autre. Jérôme de Betzinger éditeur. Michel Mouton dédicacera le 3 avril au Relay dans le Hall 4 de raéroport à partir de 7h30.